Un dernier tango
pour les services publics

Conférence gesticulée de Thierry Rouquet

2034, Mlle P. vient d’accoucher. Elle doit s’acquitter d’un petit forfait Civik pour l’enregistrement de son enfant sur les listes de l’état-civil. En effet, il y a plusieurs années, la société « Civin-citoyenneté » a remporté le le marché des formalités administratives. Mais ce qui la préoccupe, c’est que la facture de la maternité est plus élevée que prévu. Sans doute devra-t-elle prendre un emprunt, car tant que la facture n’est pas entièrement acquittée, l’enfant reste la propriété de la société « Civin-santé » qui gère dorénavant une grande partie du parc hospitalier français. Le groupe Civin pourra l’employer à sa convenance, dès qu’il l’estimera apte.

La privatisation intégrale du marché de l’éducation s’est accompagnée de la suppression de l’obligation d’instruction des enfants. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de liberté. Si les parents souhaitent scolariser leurs enfants, ils ont entière liberté pour le faire. Et même la liberté absolue du choix de l’établissement. Il suffit de payer. Avec une éducation des enfants facultative et une scolarisation nécessairement payante, la loi qui régit l’âge minimum légal de travail a été abrogée. Les enfants des milieux modestes peuvent donc se retrouver embauchés dès 6 ans – en deçà, faute de force et de maturité, les économistes ont démontré leur manque de productivité. Les « classes moyennes », quant à elles, souscrivent massivement des « prêts scolarité » pour leur progéniture. Hayek et Friedman sont morts, mais leur victoire est totale.

Cela avait commencé dès 1981, quelques années avant le prémonitoire « 1984 » !

L’Argentine de Carlos Menem avait, sur les recommandations des « Chicago boys », expérimenté la privatisation des services publics. Depuis, tout s’est enchaîné, déchaîné, avec, dans le rôle du grand ordonnateur, l’OMC (Organisation mondiale du commerce) – même si, parfois, il avait fallu recourir à des contournements comme le Tafta ou le Tisa…

En France, l’enjeu avait été double : faire main basse sur de nouveaux marchés juteux, tels les secteurs de l’éducation ou de la santé, et en finir avec le statut de la fonction publique, un statut qui contenait en germe une subversion de l’ordre capitaliste… raison suffisante pour l’éradiquer au plus vite !

2034, c’est demain. Mais, il nous reste encore 17 ans !